Bien que l’explosion de l’entrepreneuriat ces dernières années ait pu changé quelque peu les mentalités, l’échec garde pour les français une connotation très négative. Déjà en 2013, une enquête de l’Ipsos, soulignait que 83% à 88% (en fonction des catégories socio-professionnelles) des 940 personnes interrogées considéraient comme dévalorisant d’y faire face. Pour 69%, il était même difficile pour un entrepreneur de se voir accorder une seconde chance après être passé à côté de la première. Pour la majorité, les échecs sont difficiles à surmonter et la stigmatisation qui en découle, ne soutient pas l’effort nécessaire. Peut-on cependant imaginer une culture de l’échec innée aux entreprises qui puisse renverser ce cercle vicieux ?
Thomas Kuczmarski, auteur et consultant spécialisé dans l’innovation aux Etats-Unis, a aidé des centaines de clients de différents types et tailles d’entreprises à renforcer leur avantage concurrentiel et leur performance en créant et en soutenant leur culture innovante. Il explique que les organisations doivent comprendre les problèmes et besoins de ses clients, se doter d’un processus innovant et de stratégies, et que pour cela il est nécessaire que l’entreprise inspire ses collaborateurs et les encourage à prendre des risques. L’une des nombreuses tactiques qu’il recommande aux dirigeants est la célébration de l’échec : “Nous devons encourager un environnement d’apprentissage où nous pouvons apprendre tout autant de nos erreurs et de nos échecs que de nos succès.”
Intuit, la société américaine de logiciels commerciaux et financiers, a pris en compte ce conseil qui, en pratique, a donné lieu aux “fêtes de l’échec” (“failure parties”). Pour elle, il est important que toute l’entreprise puisse tourner la page et se servir de ses échecs intelligents pour s’améliorer. Mais alors, comment ? Nous vous déballons le programme et ses avantages.
Culture de l’échec : les objectifs
Plus que de simples occasions, ces “failure parties” sont devenus un rituel indissociable de la culture d’entreprise et représentent une manière de récompenser des équipes de travail ayant fait l’expérience d’un échec. Tous les collaborateurs sont invités dans les locaux d’Intuit pour ces événements afin que tout le monde bénéficie des avantages du programme. Mais quels sont-ils ?
Tout d’abord, une dédramatisation collective a plus de chance de combattre la démotivation et remplace le fait de purger sa déception et sa honte seul dans son coin. D’après la psychologue Françoise Van Duüren, la dévalorisation qui suit la défaite a des conséquences significatives au niveau affectif : des sentiments de menace et d’insécurité surgissent, pouvant aller jusqu’à devenir écrasants pour les employés et provoquant parfois des comportements de tricherie ou même des attitudes antisociales. Célébrer les échecs responsabilise les employés face à ce genre de situation, contribue à garder un environnement sain et à mieux gérer les conflits.
Ensuite, comme pour toute pratique favorisant la culture de l’échec, celle-ci a a été mise en place pour s’améliorer. L’auteur grec Ménandre l’exprimait déjà il y a plusieurs siècles : “commettre deux fois la même erreur n’est pas le propre d’un homme sage.” Si l’erreur est humaine, elle doit favoriser l’apprentissage, surtout au sein des entreprises novatrices centrées sur la création et les démarches d’essais-erreurs. Chez Intuit, il n’est pas impossible de trouver des projets “agiles” qui précipitent leur concrétisation pour les tester et les réadapter. Le vice président de l’Intuit Labs Incubator, Hugh Molotsi indique : “You’re going to have to fall down and scrape your knees a few times. You learn more from your failures than your successes. And if you call it an experiment, you can’t fail.”
Culture de l’échec : les failure parties en pratique
Ces fêtes constituent une pratique qui encourage l’expérimentation sans qu’il y ait innovation radicale et de rupture, ce qui renforce la culture d’apprentissage comme chez Google ou encore Tata Group. En pratique, voilà à quoi cela ressemble :
- Remise de « failure awards » qui récompensent explicitement les prises de risques audacieuses et intelligentes, même si elles n’ont pas débouché sur un succès ;
- Présentations des projets qui se sont avérés inefficaces et infructueux, suivis de sessions de débats, ce qui contribue à plancher sur de nouveaux desseins et stratégies pour viser à améliorer la performance collective et individuelle ;
- Inclure ces échecs et les leçons qui en ont été tiré dans la culture de l’entreprise et la mémoire organisationnelle via leur rédaction dans des booklets ;
- Trinquer pour légitimer ces erreurs d’apprentissage qui deviennent, finalement, des droits.
Intuit n’est pas la seule entreprise à penser cette nouvelle nécessité grandissante. Evelyne Platnic-Cohen, directrice de l’agence “Booster Academy”, déclare qu’il est important de pouvoir rebondir : “Rater une vente peut être très utile pour améliorer sa compréhension de ce que le client attend de nous. Parce qu’on n’a plus rien à perdre, c’est le moment de se poser de vraies questions, du type : qu’est-ce qui a fait la différence entre le fournisseur choisi et moi ? Il est essentiel d’analyser les raisons pour lesquelles on a échoué. On peut ensuite revenir mieux armé.”
Valérie Ader, présidente de “Colombus Consulting”, affirme aussi préférer ceux qui parlent de leur vécu à ceux qui passent leur temps à se protéger, et ajoute qu’il est “indispensable d’être convaincus que l’échec est autorisé. On ne peut pas être parfait tout le temps ! Je suis contre la course à la bonne note. Il faut combattre la dichotomie succès/échec, car la réussite est la combinaison des deux.”