Walmart, Butterball, Target, Virgin Trains… nombreuses mais discrètes sont ces entreprises qui pratiquent le recrutement des anciens détenus. Après leur sortie de prison, ces derniers se heurtent de plein fouet à une société qui n’est pas tout à fait prête à les ré-inclure, ce qui fait de leur réinsertion professionnelle un vrai parcours du combattant, où le parfait équilibre entre détermination et patience est nécessaire.
Entre réticences et ouverture, quel est l’état des lieux aux Etats-Unis ?
Recrutement des anciens détenus : l’étiquette est une prison en soi
Bien des années après leur incarcération, les anciens détenus sont toujours perçus par la société comme dangereux. Un grand manque de confiance naît de l’étiquette créée par cette même société, puisqu’elle doute de leur loyauté et potentiel.
L’ancien prisonnier est considéré comme un individu ne pouvant pas se dévouer à sa tâche, et surtout, comme un individu susceptible d’être à l’origine de crimes ou de délits au sein de l’entreprise, et en dehors. La crainte principale de l’employeur est souvent de voir son entreprise poursuivie en justice par d’autres employés suite à un problème causé par l’ancien détenu. D’autres voient dans l’embauche d’un prisonnier, une perte de temps, et donc d’argent. Ces marginalisés de la société ne leur paraissent pas compétents à cause du temps passé derrière les barreaux, et de quelques stéréotypes comme celui du “prisonnier sans éducation”. Pourtant, plusieurs études aujourd’hui font le lien entre l’incarcération et la volonté de travailler, et d’apprendre.
Recrutement des anciens détenus : mise en contexte aux Etats-Unis
Aux Etats Unis, le changement de mentalité vis-à-vis des anciens prisonniers est enclenché. La lutte pour la réinsertion professionnelle de cette large catégorie de la population est commune à tous : les recruteurs, les économistes, et les législateurs sont pour la plupart d’accord sur la nécessité, mais surtout le devoir de mettre en place des programmes visant à former les détenus dans et après la prison, de solidifier la législation à leur égard en terme de recrutement et de discrimination, et de faciliter les connexions entre les recruteurs et ces demandeurs d’emplois au passé chargé. Par illustration, la campagne « Ban the box » (qui se traduit par « Interdisez la case ») vise à inciter les employeurs à retirer de leurs formulaires de demandes d’embauche, la case qui concerne les candidats ayant un casier judiciaire. L’objectif est de permettre aux ex-prisonniers d’avoir le temps et l’opportunité d’exposer leurs compétences durant le processus d’embauche avant d’être interrogés sur leur casier judiciaire.
Sous la présidence de Barack Obama, cette case a été retirée pour la plupart des emplois du gouvernement fédéral. Suite à cela, un mouvement populaire a également plaidé en faveur de la modification des lois des États concernant ce sujet. En somme, l’entretien devient un moment plus propice à l’embauche et le candidat se sent plus à l’aise, puisqu’il a l’opportunité de s’exprimer sans être jugé. Cependant, des recherches menées par des économistes de l’Université de Virginie et de l’Université de l’Oregon ont révélé que l’interdiction de la case a incité certains employeurs à faire preuve de discrimination à l’égard des afro-américains et des latino-américains, car les recruteurs faisaient des suppositions sur les personnes les plus susceptibles d’avoir un casier judiciaire.
Recrutement : pourquoi les entreprises s’ouvrent-elles aux anciens détenus ?
D’après les entreprises qui ont joué le jeu de la réinsertion des incarcérés, ces derniers sont très souvent les plus motivés car ils veulent prouver leur potentiel aux autres, et à eux-mêmes par-dessus tout.
On peut citer l’exemple de Jimmy Erickson, qui a été incarcéré pour crime violent à l’âge de 25 ans. A sa libération, à 46 ans, il s’est senti changé et déterminé à se construire une nouvelle vie et a obtenu un emploi chez Butterball Farms un mois plus tard. Cette dernière fait partie de ces entreprises qui embauchent les anciens détenus, et qui, comme Target, Home Depot, Walmart et Koch Industries, ont rejoint plus de 100 entreprises dans la campagne « Ban the box », puisque le fait de cocher cette case entraîne pour la plupart, l’exclusion automatique de la prise en considération du dossier, sans qu’ils n’aient la possibilité d’expliquer la nature du crime. Erickson travaille chez Butterball depuis sept ans et a reçu plusieurs promotions. Il explique qu’au début, il devait combattre l’anxiété constante générée par le fait que tout le monde connaissait ses antécédents criminels et le jugeait pour cela. Son défi principal était donc de faire ses preuves dès le moment où il a été embauché.
Aussi, faciliter la transition de la prison à l’emploi est une cause qui a unit les conservateurs, en particulier les chefs religieux et les chefs d’entreprise, ainsi que les progressistes. Cela fait d’ailleurs partie du programme du président Donald Trump. “De nombreux prisonniers finissent par récidiver”, a déclaré celui-ci lors d’un événement organisé par la Maison-Blanche sur la réforme pénitentiaire. “Nous pouvons aider à briser ce cercle vicieux à travers la formation professionnelle.” En terme d’économie, il faut rappeler qu’un ex-détenu sur trois seulement trouve un emploi huit mois après sa libération, selon une étude réalisée par l’Urban Institute’s Justice Policy Center.
De plus, les législateurs, les organisations de la défense des droits civils et les chefs d’entreprise affirment qu’il est bon pour les affaires et pour la société de donner aux anciens détenus une chance de travailler. Dans le cas des Etats Unis, plus de 65 millions de personnes ont un casier judiciaire, tous niveaux de crimes confondus. Plus de 600 000 personnes sont libérées de prison chaque année. Faites le calcul : exclure un groupe aussi important n’avance pas l’économie et coûte des dizaines de milliards de dollars par année. Par ailleurs, le taux de rotation du personnel baisse avec l’embauche des ex-détenus, ce qui ne peut que renforcer la stabilité du personnel de l’entreprise.
Une autre raison pour cette ouverture est aussi que certaines entreprises considèrent simplement que c’est la bonne chose à faire, car les anciens détenus sont confrontés à une bataille difficile et finissent à nouveau dans les mailles du système juridique en l’absence de toute opportunité professionnelle légale.
En somme…
Engager des anciens prisonniers n’est pas une tâche facile. Comme l’a expliqué David Rattray (vice-président exécutif pour l’éducation et le développement de la main-d’œuvre à la Chambre de Commerce de Los Angeles), “il ne s’agit pas d’une simple solution du type « ajoutez de l’eau»” Membre du programme pilote, « Back on Track LA », qui aide les ex-délinquants à obtenir des emplois et de l’éducation, il ajoute : “il est naturel pour les gens d’avoir un préjugé, mais une fois que vous exposez les recruteurs à de vraies personnes, cela dissout le préjugé.”
Au vu des témoignages des employeurs, il est très possible de se retrouver avec un employé passionné, qui puisse prendre l’offre avec les deux mains, et qui, de par la patience que ça lui a demander pour trouver un emploi, reste fidèle à son poste.
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