La politique salariale en entreprise est un véritable enjeu puisqu’elle est censée déterminer la motivation, la performance, l’engagement et la productivité et in fine les revenus de l’entreprise. Mais aujourd’hui, les entreprises demandent aux collaborateurs (face à la montée de la digitalisation et de la concurrence) d’être plus autonomes, plus créatifs, de prendre des initiatives et des risques.
Croire que l’on peut demander autant sans pour autant changer les modes de récompense est un leurre. Le salaire fixe était la rétribution normale d’une quantité de travail fixe et claire. Si la quantité de travail et même son contenu deviennent incertains, peut-être faudrait-il rendre le salaire tout aussi incertain (en fonction des résultats)… Mais alors les critiques fuseraient, car ce serait « précariser » l’emploi, et on n’entendrait plus que des formules comme « individualisation du contrat du travail » d’un côté, et « affaiblissement du salarié face à l’employeur de l’autre ». Pourtant, tout ne se réduit pas à ces alternatives. Prenons les exemples du Crédit Agricole et Morning Star, deux entreprises qui ont choisi une façon originale de payer ses salariés.
Le Crédit Agricole : une politique salariale au service de la politique RSE
Après la crise financière de 2008, le Crédit Agricole a organisé des groupes de réflexion sur sa politique salariale. Pour beaucoup de personnes, c’était à cause d’une vision trop axée sur le court-terme et uniquement sur les résultats financiers et économiques que la crise eu lieu. Il est alors ressorti de ces groupes l’idée que la politique salariale devait aussi inciter les collaborateurs à prendre en compte la pérennité de la firme, c’est-à-dire les enjeux RSE.
Qu’est-ce que la RSE ? La responsabilité sociétale (ou sociale) des entreprises consiste à prendre en compte, à assumer la responsabilité des effets qu’ont les actions de l’entreprise sur la société civile et l’environnement.
Dans le cas du Crédit Agricole, fut mis en place depuis 2009 un mécanisme de rémunération variable en deux parties :
- La première part est calculée en fonction des résultats économiques de manière classique.
- L’autre part dépend d’objectifs managériaux (satisfaction des clients, prise en compte de l’environnement etc…).
C’est ainsi qu’un poste de manager en charge des rémunérations variables a été créé pour s’occuper de la mise en œuvre du projet, et pour expliciter les critères RSE allant servir à la définition de la part variable (l’enjeu est grand, car le groupe entier est concerné). Les objectifs RSE à remplir peuvent être différents en fonction des collaborateurs, car c’est à leur N+1 de décider quels seront les 5 critères sur lesquels ils seront jugés. L’indicateur utilisé pour mesurer les progrès en matière de RSE s’appelle l’indice FReD. Par exemple, les axes de progrès proposés pour l’égalité sont : égalité des origines, égalité des âges, etc.
Good Morning Star : quand la politique RSE est la politique salariale elle-même
La politique RSE est aussi une affaire interne qui se concrétise par la façon dont sont traités les salariés eux-mêmes, avant de s’intéresser aux autres parties prenantes.
L’exemple qui nous est ici donné est tiré du livre de Frédéric Laloux Reinventing Organizations. Dans ce livre, l’auteur nous expose le cas de Morning Star, une entreprise située en Californie, née dans les années 1970. À ses débuts, le dirigeant avait commencé en louant un camion pour transporter des tomates jusqu’à des centres de grande distribution. Aujourd’hui, Morning Star récolte, transforme et achemine ces tomates dans le monde entier.
L’entreprise a mis en place au sein de sa structure l’autogouvernance, ce qui se rapproche de la philosophie de l’entreprise libérée (responsabiliser les collaborateurs, leur donner, pour ainsi dire, l’entreprise, et donc leur faire confiance).
Mais dans une entreprise où le pouvoir est en grande partie décentralisé, comment gérer les primes de chacun des employés ? « Chez Morning Star, les augmentations sont à l’initiative de chacun. Une fois par an, chaque collaborateur écrit une lettre où il indique l’augmentation à laquelle il pense avoir droit. Il voit aussi avec ses collègues directs ceux qui souhaitent participer à la commission qui donnera son avis cette année-là » écrit Frédéric Laloux.
Au moins, dans une telle situation, les employés ne perdent pas de temps à manœuvrer, à chercher à se faire bien voir : vous voulez une augmentation ? Demandez là et vous verrez ce qui se passe. Une telle initiative permet d’écarter le salaire des motivations principales de chacun pour se concentrer davantage sur le travail en lui-même et les relations au sein de l’entreprise.