Le concept d’entreprise libérée, popularisé par le théoricien Isaac Getz, n’en finit plus de faire parler de lui. Sophie Floreani, la responsable de la gestion du changement, de la formation, de la communication et des ressources humaines chez BNP Paribas, revient sur la notion d’auto-organisation :
“Ça permet de sortir des modèles traditionnels en vigueur depuis un siècle, basés sur la pensée rationnelle, des process rigides et une hiérarchie pyramidale lourde qui constituent un frein à l’innovation et à la performance globale pour l’écosystème collaborateurs/clients/actionnaires. Dans les modèles en auto-organisation, chaque acteur est responsable de sa mission et de son résultat, il devient légitime pour prendre des décisions rapides et appropriées au sein du collectif.”
Si on vous en reparle aujourd’hui, c’est parce que le management responsabilisant de Décathlon représente justement un bel exemple qui illustre ces hypothèses. On vous explique.
Management responsabilisant : pour une meilleure mobilité interne chez Décathlon
Avec plus de 78 000 collaborateurs et un chiffre d’affaire qui, de 2014 à 2016, passe de 7 à 10 milliards d’euros, le groupe français de grande distribution – spécialisé dans les articles de sport et de loisirs – fait parler de ce qui continue à contribuer, encore aujourd’hui, à sa success-story : son management responsabilisant.
Décathlon se fixe alors pour objectif de libérer le travail et l’esprit d’entreprise en responsabilisant ses salariés afin de développer leur potentiel entrepreneurial. Oui, mais comment ?
Loic Lammertyn, manager en ressources humaines chez Décathlon, explique que ce mode de management révolutionne l’organisation de l’entreprise et le système de mobilité professionnelle en interne.
Désormais, tous les jeunes talents ont l’opportunité d’accéder à des postes qui leur étaient pratiquement impossible d’occuper sans avoir vécu un long parcours dans la société. Ceci a été rendu possible grâce à une plateforme en interne où figurent toutes les annonces des postes vacants et disponibles (de toutes filières confondues) auxquels il leur est désormais possible de postuler.
Ce système répond efficacement aux aspirations des nouvelles générations qui, au lieu de patiemment gravir les échelons (en passant par l’ensemble des fonctions), cherchent à dresser plus rapidement la pente ascendante de leur carrière.
Ensuite, ils choisissent leur coach ou référent métier selon le projet déterminé qui, d’ailleurs, ne les empêche pas de rejoindre d’autres équipes et participer à des fonctions auxquels ils ne sont pas rattachés.
Management responsabilisant : qui en profite ?
Chez Décathlon, le système de gouvernance adopté et la forte culture d’entreprise font preuve d’une grande attractivité pour les jeunes talents. Aujourd’hui, Décathlon est la première entreprise visée par les étudiants, l’entreprise a été élue troisième meilleur employeur en France en 2017 selon une étude Glassdoor, et est leader national concernant là où il fait bon travailler d’après l’institut Great Place To Work. Des titres qui reflètent la réalité que vivent leurs collaborateurs.
Prenons l’exemple d’Alexandre, jeune salarié de 25 ans au poste de responsable en communication au siège social de l’entreprise, à Villeneuve d’Ascq.
Il témoigne de la réussite de ce mode de management qui lui permet de prendre des initiatives, du brassage intergénérationnel réussi en interne, et de l’esprit collaboratif qui réside au sein des équipes et même entre elles :
” Dès les premières semaines, ma voix comptait autant que celle de quelqu’un qui travaillait là depuis 20 ans.“
D’ailleurs, l’organisation de l’espace de travail au siège est remodelée tous les six mois afin que les collaborateurs présents ne s’ennuient pas dans leur routine environnementale, et de toute façon, Alexandre est maître de son emploi du temps et déplacements :
” Si je n’ai pas envie d’aller au bureau, la plupart du temps, je peux rentrer chez moi, tant que je remplis la commande. “
Des ordinateurs nomades sont également à leur disposition, des zones de tranquillité ont été créées, et l’espace est aménagé pour leur donner la possibilité de travailler debout.
Emily Galdwin, chef de produit, explique que ces prises d’initiatives, permises et encouragées, contribuent non seulement au bien-être des collaborateurs, mais sont aussi à l’origine du succès de maints produits comme les masques Easybreath. Débarrassée d’une hiérarchie pesante et d’un rythme qui ne faisait que ralentir les innovations possibles, elle explique :
” Je travaille avec des designers et des ingénieurs, mais on est tous au même niveau. “
Chez Décathlon, même les stagiaires, alternants et employés en CDD peuvent prendre des décisions, en commençant par le faire à une petite échelle qui évolue au fur et à mesure des responsabilités.
Une réussite qui comporte des couacs
Ceci dit, en magasin, il semble que toute la donne change. Du moins, c’est ce qu’explique Sébastien Chauvin, délégué syndical et employé Décathlon en Seine-et-Marne :
“ Tant qu’on fait du chiffre, tout va bien, on nous laisse une certaine marge de manœuvre. Sinon, on trouve rapidement une bonne raison de licencier le vendeur ou de le pousser à la démission.“
Ces employés sont appelés les “ni, ni”, diminutif pour “ni potentiels, ni experts”, et forcément, l’entreprise n’en veut pas dans ses équipes de rêves. Pour ce faire, les managers sont chargés de repérer les erreurs répétitives de ces personnes, et les autres collaborateurs participent à l’analyse de ces situations indirectement (à travers l’observation, et l’écoute) pour que l’équilibre au travail et l’épanouissement des projets ne soient pas interrompus. Indirectement, les vendeurs qui se trouvent dans le viseur de la direction finissent par comprendre lors des pauses que des rumeurs les concernant circulent.
Même si l’acharnement quotidien est interdit au sein de l’entreprise, et que les managers sont supposés garder une posture bienveillante et encourageante vis-à-vis des moins performants, il est déjà arrivé à ce délégué syndical d’envoyer un courrier à la direction générale de l’entreprise pour les alerter sur un cas de harcèlement de la part d’une responsable dans un magasin, sans jamais pour autant recevoir une réponse en retour.
Aussi, il n’est pas rare de trouver des collaborateurs qui finissent par dépasser les 50 heures de travail par semaine : Veronica Freixeda est une avocate spécialisée qui a déjà défendu et remporté bien des procès lancés à l’encontre de Décathlon, à ce niveau.
Chez Décatlhon, un talent à fort potentiel est donc également un salarié qui ne compte pas ses heures. Il semblerait donc que la ” libération d’entreprise ” induite par la marque française et son management responsabilisant contribuent certes au bien-être des employés, mais engagent des problématiques d’aliénation au travail.
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