La notion d‘entreprise libérée n’est pas nouvelle. Petite nouveauté créée par Philippe Bercovici et Benoist Simmat, une bande dessinée intitulée Les entreprises libérées : la première BD reportage sur le management. L’ouvrage cherche, d’une façon ludique, à présenter finement les contours du concept d’entreprise libérée, et à préciser ce qu’elle n’est pas. Quoi de mieux qu’une bande dessinée pour dédramatiser le sujet ? Décryptage.
Les entreprises libérées, Benoist Simmat & Philippe Bercovici
Les entreprises libérées ne découlent pas d’un modèle
Les entreprises libérées ne découlent pas d’un modèle prêt à l’emploi, mais d’une ” philosophie “, selon les mots d’Isaac Getz, l’un des premiers à avoir pensé en France à l’entreprise libérée dans le champ académique.
L’entreprise libérée est une « forme organisationnelle dans laquelle la majorité des salariés est totalement libre et responsable des actions qu’ils jugent meilleures pour l’entreprise ». Cette forme organisationnelle se décline en de nombreuses variations, chacune en fonction de la culture d’entreprise de celle qui décide de se lancer.
C’est parce que les cultures d’entreprises des organisations qui ont « libéré » leurs employés sont toutes différentes que cette BD est faite sous la forme d’un reportage qui présente les trajectoires particulières des entreprises libérées, mais aussi l’histoire et les motivations des « leaders libérateurs » qui ont lancé leur libération. Car un tel projet naît de la conviction des dirigeants, dont les idées vont à l’encontre des opinions traditionnelles sur les ouvriers, selon lesquelles ces derniers :
- N’aiment pas travailler.
- Sont paresseux dès que le superviseur ne les surveille pas.
- Sont en général peu intelligents.
- Sont globalement irresponsables.
On ne peut donc pas leur faire confiance.
L’entreprise libérée repose néanmoins sur plusieurs principes :
- Supprimer les symboles de pouvoir (parking réservés, bureaux sans portes, cartes de visite libellées librement…)
- Instituer la transparence (diffusion du reporting, favoriser les échanges réguliers entre le Directeur Général et les salariés…)
- S’organiser différemment (souvent, les entreprises libérées adoptent alors le dynamic office space, dont la particularité est d’encourager les collaborateurs à changer de place tous les jours) en promouvant l’autocontrôle.
Via plusieurs apparitions, Isaac Getz ponctue l’histoire de petites anecdotes et précisions théoriques sur l’entreprise libérée. De nombreux théoriciens et entrepreneurs avaient déjà tenté, il y a bien longtemps, des organisations innovantes qui faisaient le pari, du plaisir au travail (Robert Owen au XIXème siècle par exemple). De plus, grâce, selon une étude Gallup sur l’engagement des salariés en 2013, il y a seulement 9% de salariés français heureux au travail. Il y a aussi 65% de désengagés (ceux qui sont passifs, qui ne croient plus en l’utilité de leur travail) et 26% de désengagés actifs !
Mais la question qui se pose est la suivante : comment ces désengagés actifs ont-ils pu devenir ce qu’ils sont ? Ils n’étaient déjà pas sûrement autant désengagés au moment de leur embauche…. La réponse tient tout simplement à l’organisation du travail, au manque de considération et à la faible de marge de manœuvre qui leur est autorisée.
Exemples d’entreprises libérées
La bande dessinée nous fait rencontrer plusieurs « leaders libérateurs », qui expliquent leur vision particulière de l’entreprise libérée, leurs motivations initiales et la façon dont est actuellement organisée leur entreprise. Passons en revue quelques exemples !
Les exemples classiques : Chronoflex, Gore-Tex et Harley Davidson
- La libération de Chronoflex par son dirigeant Alexandre Gérard date de 2009. Les acquis de cette libération peuvent se mesurer en termes quantitatifs : en 2009, l’entreprise enregistrait 750 000 euros de pertes et 60 licenciements. 4 ans plus tard, l’entreprise était à 750 000 euros de bénéfices et 60 embauches en 2013. En termes qualitatifs, les employés sont responsabilisés : ce sont des ” équipiers”. Par exemple, au moment d’une nouvelle embauche, ce sont directement les équipiers qui vont mener l’entretien et décider en dernière instance si le candidat sera embauché ou non, le « coach-RH » n’est là qu’en tant que support pour les aider.
- Celle de Gore-Tex est quant à elle ancienne : elle date de 1958. Son trait distinctif ? Les employés avaient la possibilité d’utiliser 10% de leur temps de travail pour des projets personnels, d’où la naissance de grandes innovations (comme les cordes de guitare élixir en 1995).
- En 2000, Harley-Davidson valait plus que General Motors à Wall Street ! Elle était pourtant 15 ans plus tôt au bord de la faillite. C’est sans nul doute la libération de l’entreprise qui l’a remise sur les rails.
Des exemples d’entreprises libérées plus récents
- Imatech est un centre d’appels technique situé à la périphérie de Nantes, et a entrepris sa libération grâce à son ” animateur ” Christophe Collignon en 2012. Supprimer les symboles de pouvoir, redonner du sens au travail et de la motivation aux employés pour concurrencer certains centres d’appels marocains trois fois moins chers : tels sont les objectifs de la libération d’Imatech. Concrètement, il n’y a plus de portes dans leurs locaux, les employés se proposent pour des missions au lieu d’être désignés, les managers sont pour la plupart devenus coachs, les idées pour améliorer l’organisation ou l’intégration de nouveaux employés émergent lors de brainstorming…
- Kiabi a été libérée par Nicolas Hennon à la suite d’une prise de conscience lors de sa convalescence : pourquoi attendre la mort pour se réaliser ? 8 700 salariés à libérer, ça fait beaucoup, mais le pari a été tenu ! Par exemple, au printemps 2016, 1 004 projets d’innovations avaient été transmis à la « bulle innovation » de Kiabi, ce qui montre l’importante implication des salariés.
Les entreprises libérées se multiplient grâce à la sensibilisation qui est faite à son sujet par ces leaders libérés (via le cercle de leaders libérateurs, qui est un groupe de réflexion), mais aussi par des chercheurs, des sociologues, qui y voient une véritable opportunité pour l’avenir plus qu’une simple lueur qui bientôt s’éteindra.
Les entreprises libérées, Benoist Simmat & Philippe Bercovici
un très bon article équilibré dans Sciences Humaines ; https://www.scienceshumaines.com/l-entreprise-liberee-realite-ou-imposture_fr_35813.html et les deux faces de FAVI
Tiens encore les séquelles de la communication en mode bisounours sur l’entreprise libérée, que personne ne vérifie véritablement et qui se répandent plus facilement qu’une fake-news sur sputnik. Sinon, https://business.lesechos.fr/directions-generales/strategie/idees/0301544887519-quelle-evolution-pour-l-entreprise-liberee-320396.php Pour citer GETZ, des principes, des étapes… c’est très loin d’une philosophie, mais beaucoup plus proche d’un modèle puis aussi cela : https://www.parlonsrh.com/entreprise-liberee-entre-communication-et-imposture/